Le mondial du bâtiment (intégrant le salon Batimat), salon référence incontournable des professionnels, organisé tous les 2 ans, nous propose régulièrement des articles dans une rubrique nommée « Construire Durable ». Or, au regard du contenu proposé, nous ne pouvions pas laisser une telle référence continuer à nous distiller sa vision de la chose, sans apporter notre œil critique … »

Nous vous proposons donc une analyse de leurs communiqués.

En effet, tout fabricant ou distributeur se doit d’être visible, c’est le minimum, mais si, en plus, on peut être vu, c’est encore mieux.

Et pour être vu, remarqué, il faut se … démarquer.

Les slogans fleurissent, à chacun le sien, appuyés par les qualificatifs divers  “La solution”, “Dernière génération”, “vu à la télé”, “Nouvelle formule”,…

Les argumentaires ne sont pas en reste “Après 5, 10 ans de recherche …”, “La technologie au service du bâtiment”, “issu de l’aéronautique”, “Inventé par la NASA”, “18 brevets d’invention”, “La science à votre service”, …

Et surtout, il faut être tendance : “écologique”, “vert”, “renouvelable”, “à base de matériaux recyclés”, “durable”, …

Comment s’inscrit notre grand messe de VILLEPINTE dans cette perspective du construire durable ?

Question posée que nous allons analyser ici : Greenwashing ou pas.

Un peu de sémantique :

Construire

Extrait du Larousse :

  • Assembler à partir d’un plan les diverses parties d’un ouvrage d’architecture, de travaux publics, le bâtir, l’édifier, le réaliser : Construire une route, un pont.
  • Diriger ou commander la réalisation d’un édifice : Il fait construire un pavillon en banlieue.

D’autres définitions sont proposées, en lien avec d’autres utilisations : une phrase, un navire, une théorie … nous nous en tiendrons à ce qui nous concerne et a trait avec Batimat : le bâtiment, les édifices.

Construire concerne donc tout ce qui relève de l’acte de la création d’un édifice, habitable ou non, c’est à dire créer de toutes pièces, partir du rien pour arriver à quelque chose. Voilà déjà un premier éclairage : s’agirait-il de s’intéresser uniquement au neuf, quid de l’ancien ?

Sans sombrer dans les énonciations de chiffres, nous souhaitons nous référer à quelques données officielles publiées par le ministère de la transition écologique et solidaire et l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, l’INSEE.

Le nombre de logements en France était, au 1er janvier 2016 (dernier chiffre publié) de 35,425 millions, soit proche de 1 logement pour 2 habitants. Les chiffres de constructions autorisées (pdf) d’unités d’habitation sont, pour 2015 : 376 500 et pour 2016 : 453 200 (derniers chiffres annuels connus), ce qui nous donne une moyenne annuelle de 414 850.

Attendu que « construction autorisée » ne signifie pas construction réalisée, nous nous permettons d’arrondir le nombre annuel à 400 000. Ce chiffre ne se veut pas précis, inattaquable, mais donner un ordre de grandeur. On peut donc affirmer que peu ou prou, il se construit en France environ 1% de l’équivalent du parc national existant, ce qui équivaudrait à une nécessité d’environ 100 ans pour le renouvellement total.

Attendu que l’immobilier, dans sa conception, dans les performances que les occupants en attendent, et pour bien d’autres raison, évolue, que fait-on des 99% qu’on ne renouvelle pas, ce qu’on appelle l’immobilier ancien ?

Durable

Toujours selon le Larousse, extrait :

De nature à durer longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance : Une influence durable.

Une autre approche possible, probablement plus en accord avec l’esprit de ce que nous propose Batimat : “développement durable”.

Cette notion de développement durable s’est affinée au fil des recherches, des réflexions et des propositions de divers groupes ou chercheurs.

Nous en retrouvons la définition couramment admise à ce jour sur le site Développement Durable.org :

Le développement durable se définit comme étant un développement qui répond aux besoins du présent sans pour autant compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

Très bel objectif, qui sous entend que nous avons le droit moral d’essayer de vivre le mieux possible, mais ceci en ménageant la même possibilité pour les générations futures d’y parvenir également.

Voilà posées les deux orientations de notre analyse.

Utilisation des ressources disponibles

Il nous semble important de nous poser quelques questions à ce sujet.

Tout d’abord sur les matériaux auxquels nous faisons le plus souvent appel, que les choix soient dictés par les us et coutumes, les savoirs locaux, les lobbyings divers. Ensuite sur la pertinence des choix : vaut-il mieux construire du neuf ou entretenir de l’ancien ?

Les matériaux les plus utilisés dans la construction en France

Historiquement, comme partout dans le monde, les français, qu’ils le soient déjà ou que leur région d’habitation ne soit pas encore rattachée à la France, ont construit avec les matériaux localement disponibles.

Le souci d’alors n’était pas l’écologie, simplement les moyens techniques et logistiques ne permettaient pas autre chose.

Cette approche historique a déjà été largement abordée ici dans un article dédié aux blocs isolants à base de béton de pouzzolane et de ciment Portland complémentés par une isolation intégrée de polystyrène.

Rappel très sommaire de la situation : il fallait construire avec les matériaux disponibles localement car la logistique ne permettait pas de faire venir de loin des matériaux manufacturés. Ces matériaux locaux étaient mis en œuvre par des professionnels locaux, ce qui a longtemps été confirmé par la phrase fameuse citée dans nombre de contrats : “…selon les connaissances de l’homme de l’art”.

Suite à la révolution industrielle et technologique de la fin du XIXème siècle, entérinée par la seconde guerre mondiale, de nouvelles technologies se sont fait jour. Elles ont donné naissance à de nouveaux matériaux (ou en ont permis le développement).

L’un des matériaux phares a été le ciment Portland et les bétons qu’il a rendus possibles, notamment le fameux parpaing béton.

Selon diverses sources, entre 85 à 90% des constructions en France seraient en béton au ciment Portland, dont environ 80% des maisons individuelles.

Au-delà du gros œuvre, la performance thermique de l’enveloppe aura une influence importante sur les consommations futures d’énergie pour le chauffage des bâtiments et leur renouvellement d’air.

L’isolant N° 1 utilisé en France est la laine de verre. Nous avons consacré un article ici qui pose la question de la pertinence de ce choix : “La laine de verre : si révolutionnaire ?”.

Construire ou rénover ?

Cette grande question se pose à beaucoup de particuliers qui souhaitent accéder à la propriété de leur habitation. Elle se pose pour ceux qui veulent construire, largement orientée dans le choix final par nombre d’affirmations péremptoires de la part du monde de la construction, tant les promoteurs que les Constructeurs de Maison Individuelle (CMI).

Ces affirmations portent sur les travaux induits : “il est plus simple de construire du neuf que rénover car vous aurez beaucoup moins de surprises”, mais aussi sur le financement : “le coût de construction est plus facile à définir dans du neuf que dans l’ancien”, pour les performances thermiques : “il est plus facile d’atteindre de hauts niveaux de performance thermique dans le neuf, les choix étant opérés sans contrainte liée à de l’existant”.

En lecture simple, ces affirmations sont probablement vraies, mais qu’en est-il réellement si tous les postes sont pris en compte, particulièrement dans le cadre de construction de maisons individuelles.

Impact au plan individuel

Divers travaux sont généralement oubliés dans le chiffrage et la programmation : viabilisation du terrain, taxes divers, coût de raccordement, aménagement extérieur, annexes si utiles qui, si on veut les construire, impliquent, au-delà de leur coût, des démarches administratives, du travail …

Impact au plan sociétal

Combien de centres villes désaffectés, abandonnés, de villages qui se meurent ?

Combien de petits patrimoines ruraux ou urbains qui se meurent ?

Est-il raisonnable de consommer encore et toujours plus de foncier agricole en le couvrant de constructions neuves ou en construisant de nouvelles voies d’accès ?

Impact environnemental

Il est rarement fait état de ce que coûtent les constructions neuves en ressources fossiles : énergie grise pour la fabrication des matériaux du gros œuvre, consommation de matières premières qui commencent à se raréfier, voir qui vont être rapidement épuisées.

Il en va de même avec les émissions de Gaz à Effet de Serre, notamment le bilan carbone déjà abordé ici dans un article intitulé “Carbone, et si on se trompait de combat…”.

Tous ces points ont été abordés dans un article précédent : Faut-il construire du neuf ou rénover pour une maison écologique et économique ?

Il apparaît évident que construire du neuf, en tout cas pour l’habitat individuel, n’est pas ce qui est le plus pertinent !

… ou alors il faudrait privilégier des techniques constructives alternatives telles que les Earthships ou la construction intégrant de la paille.

Nous avons analysé ces techniques ou nouveaux habitats ici, au fil de nombreux articles : Earthship et Géonef, avantages et inconvénients, Paille : la solution écologique ultime ? Maison container : une solution écologique ? Terre crue : le meilleur des éco-matériaux ?

Conclusion : greenwashing ou pas ?

Il ne nous semble pas possible, d’emblée, d’affirmer : “Oui, c’est du Greenwashing”, pas plus que : “Non, ce n’est pas du Greenwashing”.

La seule conclusion que nous tirons de cette analyse c’est, qu’à tout le moins, Batimat surfe sur la vague.

Ce salon est effectivement très important pour le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics en France en particulier, et en Europe c’est certain. Il est aussi influent au plan mondial, alors, fort de ces certitudes, nous espérons que ses organisateurs sauront non pas seulement surfer sur une vague porteuse, mais insuffler et accompagner un mouvement de fond, réel et aussi vertueux que possible.

Nous allons suivre les publications de cette rubrique dédiée sur leur site et nous verrons, au final, si elles ont fait l’objet de critiques.

Si tel est le cas, nous le regretterons mais nous nourrissons l’espoir qu’alors elles auront été ressenties comme faites dans un esprit constructif, ce qui est l’essence et la ligne de conduite de Soigner l’Habitat.

Une suggestion : changer le titre de la rubrique, ou, plutôt, le compléter : “Construire et rénover durable selon Batimat”

Claude Lefrançois


Après 30 ans dans le bâtiment, ancien charpentier, ancien constructeur, ancien maître d’œuvre, formateur dans le bâtiment, expert en analyse des bâtis anciens avant travaux, auteur de nombreux articles et d’un livre “Maison écologique : construire ou rénover” aux Ed. Terre vivante, auteur de 2 ebooks disponibles sur mon blog, je suis désormais retraité.
Je mets mon temps disponible et ma liberté d’expression à votre service : j’observe et j’analyse, au besoin je dénonce ou émet des idées.
Bonne lecture.

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