• Home
  • |
  • Blog
  • |
  • Normes de construction : leur objectif est-il atteint ?

Difficile d’échapper aux normes, quel que soit le domaine concerné, de la nourriture à l’habillement, en passant par les équipements. Le bâtiment, ne fait pas exception à la règle. Des normes, comme « normal », mais pourquoi une telle addiction, pourquoi de tels diktats ?

En France, nous aimons bien légiférer. Lorsqu’une république fait graver au frontispice de toutes ses mairies la devise “Liberté, Égalité, Fraternité” et qu’elle a l’intention, la volonté de la faire respecter, il est nécessaire de veiller à ce que :

  • la liberté de chacun soit respectée… et comme elle s’arrête là où commence celle de l’autre, il faut en fixer les limites le plus équitablement possible,
  • l’égalité soit équitable… ce qui implique que nul ne puisse disposer de droits supérieurs ou même simplement différents de ceux de l’autre,
  • en ce qui concerne la fraternité, elle relève probablement plus de la philosophie que de la législation et nous ne l’aborderons pas ici.

Nous allons, dans le présent article, réfléchir à ce qui a engendré la somme de normes que nous nous devons de respecter, et analyser ce qu’elles apportent et… n’apportent pas.

Un peu d’histoire

Autrefois, le paradigme était différent. Chacun construisait avec les matériaux disponibles localement, selon les contraintes climatiques et topographiques des lieux, selon les natures de sol et surtout, du fait des contraintes précédentes, selon les compétences des opérateurs d’alors.

On disait que le savoir-faire de l’homme de l’art permettait de réaliser les travaux.

Bonjour les temps modernes !

Les grands changements dans les modes constructifs sont consécutifs à la première guerre mondiale :

  • Disparition des opérateurs tués ou mutilés à la guerre
  • Destructions massives
  • Changements d’habitat suite aux migrations rurales vers les pôles industriels.

L’industrialisation et la standardisation ont présidé aux bouleversements et à notre addiction à la normalisation.

Les murs en parpaings ont remplacés les murs en pierre, le ciment Portland a remplacé le liant chaux et les bois sciés ont remplacés le bois équarri. Tout a tendu vers la recherche d’efficacité au travers de la standardisation technique.

Ceci a uniformisé les matériaux utilisés à l’Est, à l’Ouest, au Nord, autant qu’au Sud… Quid des hommes de l’art locaux et des savoir-faire régionaux, vive la standardisation !

Quid du bon sens ? Les préconisations thermiques sont quasi identiques quels que soient l’implantation ou le climat… Mais “vit-on la maison” de la même façon dans les Hauts de France qu’en PACA ?

Conséquences de la standardisation

Les industriels ont développés des produits standards. Ils n’étaient plus adaptés au savoir-faire ancestral, les hommes de l’art ont dû apprendre à les utiliser.

Ce besoin a engendré des fiches techniques et des descriptifs de mise en œuvre.

Les industriels se sont entendus pour standardiser plus encore, ce qui a donné naissance à des carnets techniques.

Fin du process d’évolution du vernaculaire au standard

Face au développement rapide des constructions dans les décennies 1960 et 1970, face aux déviances inévitables liées à la massification des besoins, de nombreuses malfaçons et escroqueries ont forcé le législateur à protéger les nouveaux propriétaires. Nous avons donc opté pour l’assurance.

Les assureurs paient, si :

  • la responsabilité d’un désordre est reconnue comme relevant de leur assuré
  • les règles de mise en œuvre ont été bien respectées.
  • En cas de litige, cette détermination… échoue aux juges.

Un juge n’étant pas un spécialiste des matériaux du bâtiment. Il s’en remet généralement à l’appréciation des experts judiciaires. Ces derniers s’appuient sur des documents qui fixent les limites, relevant de textes de référence afin que leurs dires ne puissent pas être contestables… Nous voilà aux prémices du paradigme actuel !

Un matériau connu, défini, codifié peut être assurable. Des documents de références doivent définir ses modes de mise en œuvre et ses destinations d’usage. Les textes de référence déterminent aussi souvent les objectifs à atteindre avec ces matériaux.

Apparition des normes

En ce qui concerne les modes constructifs, les carnets techniques sont devenus des carnets de prescription, lesquels répondent aux besoins de définition d’un matériau, de son usage et de ses modes de mise en œuvre. 

Ils sont généralement accolés à d’autres documents que sont les Agréments Techniques (les AT). Lorsqu’ils sont étudiés en France, ils sont issus du Centre Technique et Scientifique du Bâtiment, le CSTB. Ils peuvent aussi être issus d’autres pays, on parle alors d’ATE (Agrément Technique Européen). Ces documents sont attachés à un seul produit, issu de chez un seul fabricant.

Ils ont un coût qui est tout de même non négligeable et peut être un frein à leur demande. Le traitement du dossier est long, trop long. Il peut se passer jusqu’à deux à trois ans entre la demande et l’obtention du précieux sésame.

Pour gagner un peu de temps, il est possible de passer par le stade ATEX (Appréciation Technique d’Expérimentation). Ceci est possible pour des matériaux déjà produits et mis en œuvre. C’est un peu l’antichambre de l’agrément technique officiel.

S’il est possible de définir une famille de matériaux, de les codifier, il devient possible d’abandonner les agréments uniques pour se référer à un document généraliste. Ce sont les Documents Techniques Unifiés (DTU).

Ces familles sont une des bases de ce qu’on appelle les normes.

Autres pistes

Ce qui n’est pas normé n’est pas assurable, ce qui n’est pas assurable n’est généralement pas prescrit … ce qui ne veut pas dire que le matériau ou la technique soient mauvais … Par exemple, ils peuvent ne pas être toujours et immuablement de même nature ou composition. ils peuvent également avoir une faible diffusion. De petits manufacturiers peuvent aussi les produire. Pour eux, les coûts induits par le passage des tests, la rédaction des documents, sont prohibitifs.

Les règles professionnelles

Parfois des producteurs ou des sachants maîtrisant une technique particulière se groupent et produisent ce qu’on appelle  des règles professionnelles de mise en œuvre. Les autorités de tutelle peuvent reconnaître ces règles et les valider. Les assureurs couvrent les mises en œuvre répondant à ce qui y a été défini grâce à cette validation. Les metteurs en œuvre se conformant aux règles peuvent alors s’assurer et, ainsi, garantir les travaux qu’ils auront réalisés pour autrui. 

Ce qui ne répond à aucune norme

Certains matériaux, certaines techniques, ne bénéficient pas encore d’agrément ou ne sont pas encore rattachés à un DTU ni même couverts par des règles professionnelles. C’est le cas, entre autres, de tous les matériaux novateurs mis sur le marché ou de toutes les techniques novatrices lancées et dont on demande à leur promoteur d’apporter la preuve de leur pertinence. Comment ? En s’appuyant sur des mises en œuvres antérieures à la demande de certification, chantiers anciens à l’appui et le tout, en une quantité significative !!!

Alors, on fait comment ?

Il faut des courageux, osons même le dire, des téméraires, pour se lancer dans ce qu’il faut bien qualifier d’inconnu.

Il est possible de demander une couverture exceptionnelle aux assureurs, laquelle parfois entraîne des réponses caucasses :

  • Anecdote : j’ai, l’auteur, Claude Lefrançois, le souvenir de la demande d’une couverture exceptionnelle que j’avais faite pour la réalisation d’une chape chaux/chanvre au tout début des années 2000 et de la réponse qui m’avait été faite :
    • “Non, car la chaux est un matériau expérimental !” 

Ah oui, et les bétons romains, les arènes de Nîmes, le pont du Gard, les châteaux forts, Notre-Dame de Paris, et tant d’autres réalisations fort anciennes … pas codifiées donc pas prises en compte !

Qu’apportent les normes ?

Puisque tout le monde se doit de respecter les normes, que nous apportent-elles ? En quoi changent-elles notre vie ? En quoi les bâtis réalisés exclusivement avec des matériaux normés sont-ils différents des autres ?

Solidité

Les bâtis faisant appel à des matériaux normés et à des techniques bien codifiées sont-ils plus solides que les autres ?

Sous certains aspects : oui 

Par exemple, avec un bâtiment construit conformément aux règles parasismiques dans une région où ce risque est avéré.

L’édification sur pilotis dans une zone clairement identifiée à risque d’inondation semble une sage précaution.

Mais pourquoi diable construit-on dans des zones à risque d’inondation ?

Sous certains aspects : non 

Si l’on en juge par les dégradations assez rapides des bétons au ciment Portland, il ne semble pas qu’être passé de l’emploi de chaux à celui du ciment Portland ait représenté un progrès considérable !

Durabilité

L’emploi d’un matériau normé est-il un gage de durabilité de l’ouvrage ?

Bien sûr que non. Certains matériaux peuvent même être dangereux pour les bâtis, particulièrement dans l’ancien.

Par exemple, le ciment Portland est un des matériaux les plus utilisés en France. Il bénéficie de certifications diverses et variées, ce qui ne l’empêche pas de “martyriser” les murs anciens en pierre ou, pire encore, les murs en pisé.

De même, isoler par l’extérieur des murs massifs anciens non pourvus de rupteur de remontée capillaire avec un matériau non perspirant tel que du polystyrène constitue une véritable agression à leur égard.

Salubrité

C’est un point important d’un habitat car derrière la salubrité se cache aussi la bonne santé future des occupants. Est-ce qu’une certification apporte une preuve de qualité dans ce domaine ? Non, clairement non

Même une Fiche de Description Environnementale et Sanitaire ne prouve rien… Elle ne fait, comme son nom ne l’indique pas mais en ouvre la possibilité, que décrire ce qui concerne sa composition, son comportement, en cas d’exposition à des agressions telles qu’un incendie, à des acides ou autres éléments susceptibles de la dégrader …

Elle permet aussi de connaître sa dangerosité en terme  de risques cancérigène, mutagène, reprotoxique, ou autres tels que des Composés Organiques Volatiles ou Inorganiques (COV et CIOV), mais n’en interdit pas l’emploi, au mieux elle informe

Mais qui lit et, au-delà de leur lecture, qui est capable d’appréhender les informations qu’elles contiennent ?

Petit rappel intéressant : divers matériaux contenant de l’amiante ont bénéficié, en leur temps, d’agréments CSTB, avec l’issue que nous connaissons !

Confort

Rappelons que le confort auquel nous aspirons, n’est pas pris en compte par les techniques et les matériaux qui nous sont conseillés.

Rappelons aussi que les solutions les plus pratiquées, ne répondent non seulement absolument pas à nos aspirations au confort mais, de plus, sont parfois peu respectueuses de la santé des occupants et de l’intégrité des bâtis.

Respect de l’environnement 

Nous intégrons dans cette rubrique de l’environnement de nombreux points qui, pour chacun d’eux, ont un impact environnemental important : ressources mobilisées, recyclabilité, émission de Gaz à effet de Serre (GES)…

Économie

Est-il plus rentable, au plan économique, de jeter son dévolu sur un produit ou une solution technique normés ?

Oui si on se positionne sur le plan de la remise en état dans le cadre de malfaçons. Les travaux doivent avoir été réalisés par un professionnel qui aura bien suivi les prescriptions de mise en œuvre.

Est-ce une certitude que l’assurance prendra en charge le désordre ? Non, si la mise en œuvre n’a pas été réalisée conformément aux prescriptions. 

Conclusion

Si une norme n’apporte pas plus de garanties alors à quoi sert elle ?

Elles permettent, en cas de litige, de savoir à qui incombe sa responsabilité. Donc, par voie de conséquence, de savoir vers qui se tourner pour en imposer la charge financière de remise en état.

Elles apportent la certitude d’une standardisation de matériaux, de systèmes ou de techniques définis, connus, décrits et étudiés, dans des limites connues de marge d’erreur.

Dès lors que les mises en œuvre auront été réalisées selon les prescriptions, un bureau d’études pourra garantir et faire garantir ses calculs et ses prescriptions de mise en œuvre.

Parce que la fabrication des matériaux sera toujours régulière et identique, et que leurs performances seront parfaitement connues, il sera possible à une assurance d’apprécier le risque éventuel d’un désordre

Partant de là et du fait qu’elle sait calculer le coût moyen d’un risque, elle pourra proposer des garanties spécifiques à chacun des acteurs de la chaîne allant de la fabrication à la mise en œuvre, en passant par la prescription.

Il sera alors possible à chaque acteur, de proposer à son client une couverture du risque.

En attendre plus est totalement illusoire ! Il est donc important de ne pas se satisfaire des promesses faites par extrapolation abusive des normes et des certifications et de bien se documenter hors ces dernières.

Prétendre que les certifications et/ou les normes et leur respect mettent à l’abri de tout risque est abusif (rappel, cf. l’amiante …) !

Crédits PhotosSang Hyun Cho, Free-Photos, justynkalp, skeeze, herbert2512  de Pixabay

Claude Lefrançois


Après 30 ans dans le bâtiment, ancien charpentier, ancien constructeur, ancien maître d’œuvre, formateur dans le bâtiment, expert en analyse des bâtis anciens avant travaux, auteur de nombreux articles et d’un livre “Maison écologique : construire ou rénover” aux Ed. Terre vivante, auteur de 2 ebooks disponibles sur mon blog, je suis désormais retraité.
Je mets mon temps disponible et ma liberté d’expression à votre service : j’observe et j’analyse, au besoin je dénonce ou émet des idées.
Bonne lecture.

Laissez-nous un commentaire !


Your email address will not be published. Required fields are marked

  1. J'ai fait appel à un artisan RGE pour réparer une toiture et une cheminée suite à une tempête mais de nombreuses fuites persistent

    1. Bonjour Marie, hélas, une preuve de plus que ce gadget « RGE » est une aberration et surtout une pompe à fric pour Qualibat et un moyen, pour des incompétent, surtout pas améliorés dans leurs pratiques, par la mascarade de 3 jours d’une pseudo-formation, de capter des parts de marché, parfois chère, au détriment des vrais bons artisans qui, eux, n’ont pas besoin de ce gadget pour trouver du travail car connus et reconnus sur leur secteur géographique.

  2. Cher Monsieur,

    dans la ligne de votre article, j’ajoute que, sur le plan économique, l’apparition de normes est un corollaire de l’économie mondialisée et du libre-échange. En effet, le lien de confiance entre un artisan local et son client garantissait un certain niveau de prestations (expertise locale, engagement personnel, éthique du travail bien fait). Jouer à l’escroc dans un village ou une petite agglomération condamnait celui qui s’y adonnait à la perte de sa réputation, d’éventuelles représailles plus personnelles et locales, et donc à l’exil. Cette proximité n’existant plus (on ignore aujourd’hui à peu près tout de son fournisseur, qui bien souvent se situe à l’autre bout du monde), les normes, la contractualisation et donc la judiciarisation des relations client-fournisseur sont donc inévitables.

    Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande l’excellent site de Guillaume Travers, économiste spécialiste des questions liées à l’économie pré-industrielle (notamment le Moyen-Âge), et qui milite pour une re-terrritorialisation de l’économie:

    https://www.champscommuns.fr/le-projet

  3. Ah… la règlementation, surtout Française. Un acermi qui n'a rien d'obligatoire ( démarche volontaire d'un fabricant ) les ATE / DTA lié à un Acermi..pour le lambda. Les normes EN / FR et les DTu's qui ne sont que valable pour les bâtiments publics. C'est une jungle indescriptible ou presque. Si on regarde de très pr^ts des travaux avec tous les documents normatifs et avis techniques on s'en arrache les cheveux, pour se rendre compte que c'est pas fait dans les "rêgles de l'art"….

{"email":"Email address invalid","url":"Website address invalid","required":"Required field missing"}