Penser hors de la boîte !!!

Des étagères, bien organisées, des boîtes, remplies de concepts, de solutions, d’orientations, de directives, de règles, de normes … Super confortable, on pense pour moi, on m’explique, on m’accompagne … on me tient la main ! Confortable, je ne peux plus me tromper, je n’ai qu’à suivre … et en plus, si c’est pas bien, je ne suis pas responsable, j’ai fait tout ce qu’on m’a dit, comme on me l’a demandé !

… Mais, mais au fait, qui m’a consulté ? Qui pense pour moi ? Qui décide pour moi ? On me conseille, fort bien, mais qui m’écoute, qui analyse ce que j’aimerais, ce qui serait bien pour moi et mon habitat ? Et le conseil, c’est quoi ? Il commence et il s’arrête où ? Qu’est-ce qui le motive ?

Nous nous attacherons, au fil de cet article, à analyser “l’étagère” bâtiment. Non pas que les autres ne nous intéressent pas, simplement pour rester au cœur de notre activité.

Avant, on faisait comment ?

Aujourd’hui, tout est normé, même la météo. Nous allons nous appuyer sur l’exemple des températures “de saison” pour comprendre les limites d’une norme. Nous avons tous entendu ou lu : Température conforme aux normes saisonnières. C’est quoi les normales saisonnières ?

Les normales saisonnières sont définies en tenant compte de plusieurs critères, dont la moyenne des températures les plus basses (quintile inférieur) et la moyenne des températures les plus hautes (quintile supérieur). Si la température du jour est inférieure à la moyenne générale, disons dans la moyenne de la quintile inférieur, elle nous sera annoncée : inférieure aux normales saisonnières. L’est-elle réellement ?

Si oui, curieux car elle aurait pu faire partie du modèle de calcul qui la définit !

Si non, curieux car elle est, de fait, inférieure au panel de classification issu du concept !

… Comme quoi, une norme, ce n’est pas forcément très simple ni … totalement objectif ou exhaustif.

Le bâtiment avant la norme

Y a-t-il toujours eu des normes ?

Nonautrefois le travail, corps d’état par corps d’état, était réalisé pas des artisans.

Chacun, dans sa zone géographique, travaillait avec les matériaux disponibles localement, qu’ils soient natifs (pierre, terre, bois …), ou qu’ils soient manufacturés (briques, tuiles, chaux …). Chaque région fournissant ses matériaux, chacun avec ses caractéristiques, devant faire face à des conditions climatiques variables, chaque artisan devait travailler, comme le disait l’adage populaire ainsi que les écrits des contrats : “selon les connaissances de l’homme de l’art”.

Les choses étaient claires : chacun devait opérer selon son savoir-faire, celui qui lui avait été transmis, imposé par les matériaux, l’usage qui en était fait et les contraintes auxquels ils étaient exposés.

La standardisation des fabrications

Le grand changement s’est opéré au début du XXème siècleavec la 1ère guerre mondiale : transfert de populations des campagnes vers les villes, beaucoup de morts, beaucoup de destructions … Ne disposant plus de la main d’œuvre qualifiée en suffisance, face à la nécessité de construire de nouveaux centres de concentration humaine, entre autres les cités autour des manufactures,  il a fallu changer de paradigme et abandonner la construction au fil du temps, de la croissance de la famille ou de la taille de l’exploitation, il a fallu construire vite, sans grandes connaissances techniques, avec une main d’œuvre peu qualifiée. Il était devenu possible de transporter sur de plus longues distances …La seconde guerre mondiale a engendré la fin de la mutation, les historiens de la construction situent le changement définitif à la fin des années 40, la loi dite de 48 (pdf), régissant la location de bâtiments d’habitation pouvant être prise comme point d’articulation.

Les points importants qui ont changé

Les changements d’utilisation courante mixte (animaux + humains), les changements architecturaux (d’un habitat diffus à un habitat “concentré”) ont généré :

  • l’abandon des murs en pierre, pisé ou autres à effet de masse,
  • la disparition du fourrage dans le grenier, donc plus d’isolation,
  • la disparition du bétail en tant qu’apporteur de calories,

Les évolutions techniques ont engendré :

  • l’apparition du parpaing en béton au ciment Portland,
  • le passage de la chaux (des chaux) à carbonatation lente au ciment Portland à prise rapide,
  • le passage de la charpente en bois équarri aux bois sciés et calibrés.

Le maître mot : norme

La standardisation des productions des matériaux a abouti à l’émergence d’industriels qui, petit à petit, ont racheté les petits producteurs disséminés sur le territoire. La plus emblématique de ces évolutions étant le rachat des chaufourniers par les cimentiers. Celle-ci a abouti à la mise au point de produits standardisés, les différents ciments artificiels, connus sous le nom de “ciment Portland”, chacun étant adjuvanté de sorte à bien répondre aux besoins spécifiques, soit d’une destination, soit de conditions de mise en œuvre ou autres raisons.

Les règles de mise en œuvre

Face à cette uniformisation de leurs productions, remplaçant petit à petit les productions traditionnelles par de nouveaux produits non maîtrisés par les artisans, les industriels ont dû édicter des documents techniques de mise en œuvre. C’était assez simple car la mise en œuvre en était identique au Nord, au Sud, à l’Est ou à l’Ouest, partout les mêmes formulations, partout les mêmes dimensions des pièces unitaires … partout les mêmes contraintes !

Exit les savoir-faire traditionnels des artisans, bonjour les carnets de prescription d’utilisation, de destination et de mise en œuvre quelles que soient les conditions climatiques locales …

La standardisation de mise en œuvre

L’enseignement est passé du mode “transmission d’un Savoir” au mode “enseignement de règles de construction et de mise en œuvre”.

Evolution sociétale aidant, abus d’industriels de la construction plus soucieux de leurs bénéfices que de réelle qualité de leurs ouvrages, le législateur s’est saisi des dérives et a édicté des obligations de respect des règles de mise en œuvre.

Ces règles sont devenues des documents techniques, puis des Documents Techniques Unifiés, lesquels se sont dotés de Cahier des Clauses Techniques Particulières (les CCTP). Pour accompagner ce mouvement, des organismes ont vu le jour, dont le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, le CSTB, fondé en 1947.

On retrouve les années charnières du changement de paradigme des principes constructifs.

L’assurabilité

Qui dit uniformisation, dit souvent reproductibilité facile.

Le passage de l’élévation de murs massifs avec des matériaux natifs et la fabrication d’une charpente en bois équarri, d’essence locale, à l’élévation de murs en parpaings en mortier au ciment Portland, de taille et composition standardisée et la fabrication de charpente en bois sciés, souvent d’essence uniformisée, n’échappe pas à cette règle.

Les besoins étaient immenses, de grands groupes se sont créés et ont pris beaucoup de ces marchés. Malheureusement la qualité et la durabilité n’entrèrent pas dans la politique industrielle de ces entreprises !

Pour protéger les maîtres d’ouvrage, souvent les futurs propriétaires et occupants, le législateur a rendu l’assurance des acteurs de l’acte de bâtir obligatoire et a standardisé ces obligations à partir de 1978 selon les articles L.241-1.et L.241-2 du code des assurances. Depuis ces articles ont été amendés (source JP Karila) au fil des cas de jurisprudence mais surtout d’évolutions datant de 1997 et 2005.

Les agréments techniques ou Documents Techniques Unifiés (DTU)

L’assurabilité a pour objectif de permettre la réparation d’un éventuel désordre si celui-ci est effectivement confirmé par un expert judiciaire.

Dès lors qu’il aura confirmé le ou les préjudices, l’expert doit pouvoir dire à qui, selon lui, il(s) est(sont) imputable(s) : le fabricant, l’artisan qui a mis en œuvre, le technicien qui aura prescrit le choix de l’équipement et sa mise en œuvre, l’utilisateur qui l’aura exploité et utilisé en “bon père de famille” ou pas …
Pour y parvenir, le juge doit pouvoir … juger et ceci n’est possible que sur des faits établis et certifiés par des experts judiciaires. En effet, un juge ne peut pas être spécialiste de tout ce qu’il juge, il peut (et ne doit d’ailleurs) que prononcer un jugement sur son intime conviction. Celle-ci est établie sur les rapports d’expertise (qu’il peut suivre ou non). Les rapports étant eux-mêmes l’expression du constat, de la part de l’expert, du respect des éléments en cause, de leur bonne mise en œuvre, de leur choix judicieux, de leur bonne exploitation …

Pour ce faire, l’expert judiciaire doit disposer d’un document faisant autorité, certifié, reconnu et validé par les autorités de tutelle, le CSTB entre autres, mais également d’autres organismes certificateurs, français et/ou étrangers, eux-mêmes reconnus compétents. Chaque pays européen disposant de son ou ses propres organismes (FCBA en France, DIBT en Allemagne, le CSTC en Belgique …).

Ces supports sont, en France, soit des Évaluations Techniques Européennes, soit des Agréments Techniques, soit des Documents Techniques Unifiés. Les premiers sont accordés par produit unique, chacun devant disposer du sien, les seconds concernent des familles de produits, lesquels produits doivent être conformes à des règles de fabrication et/ou de compositions générales et/ou de mise en œuvre. Des agréments provisoires peuvent être accordés (Agrément Technique Expérimental, les ATEX). Des règles professionnelles, généralement rédigées et portées par un organisme ou une association en lien avec la spécialités, peuvent aussi être prises en compte.

Leurs objectifs

Comme nous venons de le voir, les objectifs de ces documents sont de déterminer les utilisations possibles d’éléments et/ou matériaux, de confirmer leurs capacités et de déterminer leurs règles de mise en œuvre et d’exploitation, voire, parfois, d’entretien.

Ils n’ont, en aucune façon, pour rôle de déterminer de la pertinence ou de l’innocuité des produits certifiés.

Ces caractéristiques et/ou règles sont destinés, entre autres, à permettre aux bureaux d’études et prescripteurs d’en conseiller l’emploi selon des objectifs ciblés. Ils vont aussi permettre aux maîtres d’œuvre et d’ouvrage de savoir si les produits ou techniques sont bien mis en œuvre, en respect des règles édictées par le fabricant.

In fine, en cas de désordre, l’expert judiciaire pourra s’appuyer sur eux pour produire ses dires et les remettre au juge.

Les contraintes induites

Il ressort de cette approche qu’un matériau ne disposant pas d’un agrément, d’un Atex, d’un DTU ou de règles écrites et reconnues par les autorités de tutelle de mise en œuvre ne sera pas assurable car pas “jugeable”.

Il s’agit d’une approche plus “législative” que technique.
Sachant qu’un agrément est long et coûteux à obtenir, de nombreux produits, parfois même très traditionnels et d’un emploi très large autrefois mais très locaux ou limités en quantité ne s’inscrivent pas dans ces certifications et, probablement, ne s’y inscriront jamais.

Les attentes de chacun

Or, qu’attend un maître d’ouvrage de son futur lieu d’habitation : qu’il soit confortable, sain, performant, durable ou qu’il soit assurable ? S’il est le tout, c’est parfait, mais est-ce toujours le cas ?

Alors certes, rien n’interdit à quiconque d’utiliser un matériau chez lui, certifié ou non, encore que …

Quel professionnel, prendra le risque de le mettre en œuvre s’il ne peut être assuré pour ce travail ?

Et même un auto-constructeur ou auto-rénovateur se doit, en cas de revente avant 10 ans, de fournir une assurance à son acheteur …

Un même matériau se verra souvent imposer les mêmes règles de mise en œuvre dans du neuf ou dans de l’ancien, alors même qu’il n’y est pas exposé aux mêmes contraintes et/ou conditions de mise en œuvre.

Conclusion

Tout industriel responsable, dont l’objet est de vendre un produit, devra s’attacher à le rendre assurable. Attendu que, pour ce faire, il devra être conforme à une norme ou une autre, cet industriel aura pour obsession de le rendre acceptable.

Souvent, en plus, les performances exigées seront très ciblées.
Pour l’isolation par exemple, le lambda (fuite des calories par conduction) est déterminant alors même que la thermie est soumise à de multiples variables, 9 au total … Que fait-on des autres (rayonnement, effusivité …) ?

Il n’est pas question pour nous de prescrire quoi que ce soit qui mettrait en péril ou en danger soit le bâtiment, soit le maître d’ouvrage, mais ne pourrait-on pas échapper à ces diktats si limitatifs.

Certes, et nous revenons ici au début de cet article, l’étagère législative est utile, certes elle ne peut être occultée, mais ne pourrait-elle pas avoir pour voisine l’étagère du savoir-faire, l’étagère de la tradition … pourquoi une seule et unique étagère ?

Retour à la satisfaction des besoins

Il nous semblerait fort judicieux, au-delà des règles de calcul imposées, de respect des normes, de prendre en compte aussi des règles de bon sens.

Un exemple parmi d’autres : le chauffage d’une future construction. Elle doit être édifiée de telle sorte à être la plus économe possible en énergie lors de l’exploitation, a minima conforme à la RT 2012, mieux, aux normes du Bâtiment Basse Consommation (BBC), ou encore plus fort, comme un Bâtiment à Energie Positive (BEPOS). Pour ce faire, des objectifs multiples et de plus en plus complexes sont imposés, lesquels amènent, globalement, à prévoir une enveloppe extrêmement performante au plan des fuites de calories. En lecture simple, c’est pratiquement parfait puisque, ainsi, il est possible de  concevoir une maison qui n’aura pas besoin de chauffage.

Cependant, qu’en est-il de la pertinence globale d’un tel projet ?

En effet, la performance maximale ne peut s’atteindre que grâce à la mise en œuvre de solutions et matériaux qui, eux aussi, nécessitent de l’énergie et des ressources.

Pour simplifier, et c’est un raccourci qui en vaut beaucoup d’autres : chaque gain en performance représente une dépense supplémentaire. Cette dépense n’est pas liée (tout au moins nous l’espérons) qu’à une augmentation de la marge des intervenants. Elle est liée à des ressources de matériaux mobilisées en plus grande quantité, à des travaux plus longs et coûteux en main d’œuvre, elle aussi, consommatrice de ressources et d’énergie. En fait, toute chose a un prix qui peut, assez simplement, se transcrire en ressources consommées.

Si une maison passive coûte 300 € de plus au m2, pour 100 m2, on aura 30 000 € de surcoût global mais elle ne consommera pas d’énergie pour la chauffage, bravo !

Par contre, pour rentabiliser ce surcoût, il faudra 60 années (30 000 € / 500 € de chauffage gagné chaque année), ça fait beaucoup ! Ça fait même plus que le temps sur lequel le calcul lié au bilan carbone du label E+ C- est basé : 50 ans ! Logique, souvent ces bâtiments font appel à des systèmes fort complexes qui, nous en sommes certains, ne tiendront pas 50 ans !
Si, en plus, le carbone relâché à la construction est d’origine fossile (produits issus de la pétrochimie et nécessitant beaucoup de matière première par exemple) alors que le carbone émis lors du chauffage aurait pu s’inscrire dans un cercle vertueux lié au cycle du bois, on aura tout faux ! Ce qui sera encore pire si le chauffage peut être issu du solaire !
Voilà quelques exemples de “Thinking Out of the Box” !

Et si on changeait de paradigme

Ne serait-il pas possible de laisser à nouveau la place à la pertinence ?

Nous ne pensons pas à l’éradication de tout l’empilage administratif qui régit dores et déjà la réalisation des travaux, l’utilisation des matériaux, mais un retour vers le bon sens, la place à la tradition, en lien avec le territoire et ses contraintes.

Retour au Savoir-Faire

Et à nouveau, tel que nos voisins suisses le pratiquent, laisser une place aux savoir-faire, un retour à l’expérience et … à l’expérimentation in situ, aux contrôles a posteriori, faire confiance à la logique non technologique mais éprouvée ici ou là …

Claude Lefrançois


Après 30 ans dans le bâtiment, ancien charpentier, ancien constructeur, ancien maître d’œuvre, formateur dans le bâtiment, expert en analyse des bâtis anciens avant travaux, auteur de nombreux articles et d’un livre “Maison écologique : construire ou rénover” aux Ed. Terre vivante, auteur de 2 ebooks disponibles sur mon blog, je suis désormais retraité.
Je mets mon temps disponible et ma liberté d’expression à votre service : j’observe et j’analyse, au besoin je dénonce ou émet des idées.
Bonne lecture.

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