Un sujet polémique s’il en est : comment avons-nous, collectivement, transformé notre manière d’habiter nos logements au fil des décennies ? Quels impacts cette évolution a-t-elle sur notre confort thermique, sur la qualité de l’air intérieur, et sur la durabilité de nos maisons ?
Nous allons explorer ensemble ce phénomène qui touche chacun d’entre nous, chaque jour, souvent sans même que nous en ayons conscience. Car oui, nous n’habitons plus nos maisons comme le faisaient nos grands-parents : nous passons plus de temps à l’intérieur, nos habitations sont devenues plus étanches, mieux chauffées, mais aussi parfois moins saines… Et cette transformation est loin d’être anodine.
Des changements profonds dans nos modes de vie
Avant d’aborder les conséquences techniques, intéressons-nous aux causes sociales et économiques qui ont bouleversé notre façon d’occuper nos logements.
Nous passons plus de temps à l’intérieur
Première évolution majeure : nous passons beaucoup plus de temps dans nos habitations qu’autrefois. Là où nos aïeux travaillaient souvent dehors, de 65 à 70% de leur temps (agriculture, artisanat, commerce…), nous passons environ 70% par jour à l’intérieur, entre le domicile et les lieux de travail climatisés.
Cette évolution s’est accompagnée d’une diminution importante de nos activités physiques. Plus besoin de préparer et stocker du bois pour se chauffer, de puiser l’eau au puits et la transporter, de s’occuper des animaux d’élevage ou de jardiner pour se nourrir ou se chauffer ! Notre corps produit donc moins de chaleur métabolique (liée aux activités physiques), ce qui nous incite naturellement à augmenter la température de chauffage pour compenser cette sensation de froid et d’inconfort.
Nous, les habitologues, observons régulièrement lors de mes visites d’expertise que les personnes s’activant dans leur logement (artisans travaillant à domicile, par exemple) se satisfont de températures plus basses que les télétravailleurs sédentaires assis !
Des attentes de confort thermique en hausse constante
L’élévation générale du niveau de vie nous a permis d’accéder à un confort autrefois réservé aux plus fortunés. Selon le baromètre Qualitel, La première cause de mécontentement des propriétaires relève du manque de confort thermique (enquête à choix unique), devant les économies d’énergie, très loin devant les autres raisons. Une autre étude, de l’ADEME celle-ci (à choix multiples), révèle que 80% des propriétaires qui réalisent des travaux en vue d’améliorer la performance de leur maison le font prioritairement pour gagner en confort.
Concrètement, cela signifie :
- Des températures intérieures plus élevées (21-22°C en moyenne contre 16-17°C il y a 50 ans)
- Des habitations plus étanches à l’air (exit les courants d’air glacés, on ne vous regrettera pas !)
- Une recherche de solutions pour maintenir une température stable et homogène
L’obsession de la propreté… apparente
Notre rapport à l’hygiène a lui aussi considérablement évolué. De une douche par semaine (pour quelques privilégiés)) dans les années 1950, nous sommes passés à une, voire deux douches quotidiennes, pour beaucoup d’entre nous.
De quelques litres d’eau tiède par semaine il y a 70 ans nous sommes passés à des centaines de litres d’eau chaude (voire très chaude); de quelques minutes par semaine nous sommes passés à des douches longues, voire très longues…
Bien évidemment, au-delà des consommations d’eau et de chauffage, nous avons considérablement augmenté nos émissions de vapeur d’eau… le tout en étanchéifiant nos habitats (ce dernier point était nécessaire !).
Lors d’une petite expérience personnelle (et vous pourriez la reproduire chez vous !), j’ai pesé une serviette de toilette avant et après usage.
Constat : 82 grammes de différence, soit autant d’eau qui va s’évaporer dans l’air intérieur ! Pour une famille de 4 personnes, nous parlons donc de plus de 320 grammes d’eau par jour, rien que pour se sécher après la douche. Et si nous ajoutons l’évaporation de l’eau des parois de douche, du sol de la salle de bain, des cheveux mouillés… nous atteignons facilement 500 grammes/jour pour cette seule activité !
À cette évolution s’ajoutent :
- La multiplication des lessives (nous lavons du linge peu à pas sale !)
- Le lavage quotidien des sols
- L’utilisation croissante de produits ménagers et cosmétiques
- Le séchage du linge à l’intérieur en hiver
Tous ces comportements ont un point commun : ils libèrent d’importantes quantités de vapeur d’eau dans l’air de nos habitations. C’est ce que, chez “Soigner L’Habitat“ nous nommons « l’humidité d’activité ». Elle a pris une place considérable dans l’équilibre hygrométrique de nos habitats.
Des habitations de plus en plus étanches
Parallèlement à ces évolutions comportementales, nos habitations ont connu une véritable révolution technique, particulièrement depuis les années 1970 et les premières réglementations thermiques.
De la passoire thermique à la bouteille thermos
La maison traditionnelle d’avant la loi de 1948 était généralement ce que nous appellerions aujourd’hui une « passoire thermique », où l’air circulait librement entre l’intérieur et l’extérieur. Le renouvellement d’air s’effectuait naturellement par les défauts d’étanchéité des menuiseries, les conduits de cheminée, et les matériaux poreux des parois.
Avec les chocs pétroliers des années 1970, puis les réglementations thermiques successives, nous avons progressivement transformé nos habitations en espaces de plus en plus étanches :
- Menuiseries à double ou triple vitrage + joints
- Calfeutrement des points faibles
- Isolation renforcée des parois
- Suppression des cheminées à foyer ouvert
Cette évolution a culminé avec la RT 2012, qui impose pour la première fois une valeur maximale de perméabilité à l’air des bâtiments neufs. Les performances thermiques ont été spectaculaires : nous sommes, pour le chauffage, passés de plus de 250 kWh/m²/an à seulement 50 kWh/m²/an en énergie primaire.
Or, cette étanchéité accrue, si elle est excellente pour notre portefeuille et pour la planète, pose de nouveaux défis en termes de qualité de l’air intérieur.
Des systèmes de chauffage plus performants
Dans le même temps, les moyens de chauffage ont, eux aussi, évolué. Le fourneau ou le poêle à bois central a progressivement cédé la place à des systèmes de chauffage central, puis à des solutions de plus en plus sophistiquées :
- Chaudières à condensation
- Pompes à chaleur (PAC)
- Planchers chauffants basse température
- Systèmes de régulation programmables
Ces évolutions techniques ont permis d’assurer une température homogène et stable dans tout le logement, renforçant encore notre sensation de confort. Mais attendu que ces systèmes ne nécessitent plus d’apport d’air extérieur pour fonctionner (contrairement aux poêles à bois ou aux cheminées), ils ne contribuent plus au renouvellement d’air « passif » que connaissaient nos aïeux.
Des conséquences inattendues : l’air intérieur en question
Cette double évolution – comportementale et technique – a engendré des conséquences inattendues sur la qualité de l’air intérieur de nos logements.
Humidité + étanchéité : un cocktail explosif
Le calcul est simple et chacun peut le faire : une famille de quatre personnes peut facilement produire 10 à 15 litres de vapeur d’eau par jour dans son logement (équivalent eau liquide passée à l’état vapeur), rien qu’avec les activités quotidiennes (respiration, cuisine, douches, séchage du linge…).
Dans une maison ancienne peu étanche, cette humidité s’évacuait naturellement. Dans nos habitations modernes très étanches, elle reste prisonnière et provoque une augmentation significative de l’humidité relative de l’air intérieur.
Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple d’une maison de 100 m² avec une hauteur sous plafond de 2,5 mètres. Son volume habitable est de 250 m³, ce qui représente environ 300 kg d’air. A 19°C, l’humidité relative idéale de l’air se situe vers 55%, ce qui correspond à 7,45 g d’eau/kg d’air.
La présence des habitants aura généré, sur une journée, de l’ordre de 12 litres d’eau transformée en vapeur, soit 12000 g/300kg = 34,28 g d’eau par kg d’air… des quantités impossibles à gérer naturellement si l’air n’est pas renouvelé… Alors l’eau sera restée à l’état liquide : le linge, non seulement ne sèche plus mais, en plus, se charge d’humidité, le sol lavé et la vaisselle ne sèchent pas non plus…
C’est là que commencent les ennuis : moisissures, dégradation des matériaux, problèmes respiratoires… Autant de pathologies que nous constatons de plus en plus fréquemment dans les habitats récents ou rénovés sans prise en compte du renouvellement d’air.
La pollution intérieure : l’effet cocotte-minute
À cette problématique d’humidité s’ajoute celle des polluants chimiques. Notre mode de vie moderne a multiplié les sources de composés organiques volatils (COV) et autres polluants intérieurs :
- Matériaux de construction, ameublement
- Produits d’entretien et désodorisants
- Cosmétiques et parfums d’ambiance
- Activités de cuisson et de chauffage
Ces substances s’accumulent dans l’air de nos intérieurs étanches, parfois jusqu’à des concentrations bien supérieures à celles mesurées dans l’air extérieur, même en zone urbaine polluée ! C’est ce que nous appelons « l’effet cocotte-minute » : nous confinons tous ces polluants dans un espace de plus en plus hermétique.
La ventilation : une nécessité récente mais impérative
Face à ces nouvelles problématiques, le renouvellement de l’air est devenu une nécessité absolue, là où il n’était qu’une conséquence fortuite de l’architecture traditionnelle.
Une prise de conscience progressive
La première réglementation concernant le renouvellement d’air remonte à l’arrêté du 14 novembre 1958. Elle imposait un renouvellement pièce par pièce.
C’est ensuite l’arrêté du 22 octobre 1969 qui a imposé l’obligation de renouvellement d’air globale, sans toutefois en définir les volumes. Ces débits minimaux ont finalement été fixés par l’arrêté du 24 mars 1982, toujours en vigueur aujourd’hui. Ces arrêtés n’ont connu que des évolutions à la marge depuis lors….
N’est-il pas surprenant que la réglementation sur ce sujet crucial n’ait pas fondamentalement évolué depuis plus de 40 ans, alors que nos habitations et nos modes de vie, eux, ont été complètement bouleversés ?
Un système désormais indispensable
Aujourd’hui, ventiler n’est plus une option mais une nécessité, pour plusieurs raisons fondamentales :
- Évacuer l’humidité excédentaire pour éviter condensation, moisissures et dégradations du bâti
- Éliminer les polluants intérieurs qui affectent notre santé (COV, radon, microparticules…)
- Apporter l’oxygène nécessaire à notre métabolisme et à la combustion des appareils à flamme
- Maintenir des conditions de confort optimales (un air trop humide donne une sensation de froid)
Le coût d’exploitation d’un système de ventilation mécanique contrôlée (VMC) simple flux est d’ailleurs très raisonnable : environ 30€ d’électricité par an pour la machine, auxquels s’ajoutent environ 130€ pour réchauffer l’air neuf entrant. Un investissement dérisoire au regard des risques évités !
Et comme expliqué dans l’article en lien ci-dessus, il est crucial de ne jamais arrêter sa VMC, même en période d’absence, les risques encourus dépassant largement la modeste économie réalisée.
Vers de nouvelles évolutions nécessaires
Malgré les progrès réalisés, notre gestion du renouvellement d’air n’est pas encore optimale. Plusieurs évolutions seraient souhaitables :
1. Adapter la ventilation aux conditions climatiques
Notre réglementation actuelle impose un renouvellement d’air quasi linéaire, heure par heure, sans tenir compte des conditions extérieures. Or, en période caniculaire par exemple, faire entrer de l’air chaud et humide peut être contre-productif.
Il serait judicieux de moduler le renouvellement d’air selon les saisons, voire selon les moments de la journée :
- Limiter la ventilation pendant les heures chaudes en été
- L’augmenter pendant les nuits fraîches pour rafraîchir naturellement le logement
Nous avons pu observer pendant les canicules récentes que certains logements bien ventilés la nuit et faiblement ventilés le jour conservaient une température intérieure jusqu’à 4°C inférieure aux logements ventilés de façon constante.
2. Rendre les systèmes autonomes énergétiquement
Les VMC simples flux consomment peu (entre 18 et 25 Wh, soit environ 20h x 24h, soit un peu moins de 1 kW/h/2j, donc de l’ordre de 150 à 180 kWh/an ), ce qui les rend faciles à alimenter en électricité renouvelable. Un petit panneau photovoltaïque couplé à une batterie pourrait suffire à les rendre autonomes, contribuant ainsi à réduire notre dépendance aux réseaux électriques.
Cette approche s’inscrit parfaitement dans la démarche du couple habitat/habitant que nous défendons : rendre l’habitant acteur de la gestion de son habitat, en lui permettant de produire lui-même l’énergie nécessaire à son fonctionnement essentiel.
Conclusion : un équilibre à trouver
L’évolution de nos modes de vie et de nos habitations nous a conduits à une situation paradoxale : nous avons gagné en confort thermique et en économies d’énergie, mais au prix d’une dégradation potentielle de la qualité de notre air intérieur.
La ventilation, autrefois naturelle et fortuite, est devenue une fonction technique essentielle de nos habitats modernes. Elle représente le point d’équilibre nécessaire entre étanchéité thermique et salubrité.
L’enjeu pour l’avenir sera d’adapter nos systèmes de renouvellement d’air aux évolutions climatiques (notamment aux canicules plus fréquentes) et de les rendre plus intelligents pour optimiser à la fois notre confort, notre santé et notre consommation énergétique.
In fine et en globalité, une maison idéale n’est pas seulement une maison économe en énergie, mais un lieu de vie sain et confortable, en harmonie avec ceux qui l’habitent et leur environnement.
Attendu que, à n’en pas douter, ce sujet vous intéresse, nous vous invitons à consulter les vidéos ainsi que les articles de cette série sur le renouvellement d’air.
Vidéos sur le sujet de la ventilation sur la chaîne Youtube Papy Claude / Soigner l’Habitat :
- Renouvellement de l’air : les 3 clés à connaître pour un air intérieur sain
- Habitat ancien : entre sobriété, usage temporaire et air renouvelé
- Ventilation : une nécessité dans un habitat étanche
- Humidité, COV, moisissures : un air intérieur qui nous met en danger
- Condensation, air intérieur, moisissures: un enchaînement inévitable ?
- COV et qualité de l’air intérieur : ce qu’on ne vous dit pas
- Air intérieur : d’où vient-il, comment se dégrade-t-il?
- Renouvellement d’air dans l’habitat : principes et bases techniques
Nous y explorons notamment les différents systèmes disponibles et leurs avantages respectifs. Comme toujours en matière d’habitat, il n’y a pas de solution unique, mais des réponses adaptées à chaque situation !